This page created with Cool Page.  Click to get your own FREE copy of Cool Page!
               oedipe.net

                         Les grands chefs



La société porte au pinacle ceux qui officient aux fourneaux des restaurants de renom.
A la une des journaux, les grands chefs de cuisine, figures obligées de la France d'aujourd'hui, sont nos ambassadeurs aux quatre coins du monde, nous dit-on.
Tout un chacun rêve de s'asseoir à leur table, de se nourrir de leur prestige.
On loue leur créativité, on respecte leur travail, on admire leur réussite; on envie
leur clientèle.

Faire chez eux étape régulière relève du parcours de l'homme de notre temps,
au même titre que la carte d'adhérent au PS-RPR, laquelle donne le droit de voler
le peuple, les stock-options, lesquelles donnent aussi le droit de voler le même peuple, les vacances d'hiver aux Maldives, pour exhiber le vol dudit peuple, le golf, pour exhiber le vol...le Range Rover dernier cri, pour exhiber... et le lifting quinquennal
de l'arbre de Noël conjoint, lequel lifting tient lieu chez ces gens là de métaphysique, car on a une conscience, mais oui!


Replète, la bouille est réjouie, toujours, et fort satisfaite d'elle-même : on se lèche
les babines à longueur de journée. Bien en chair, voire gros, voire bouffi, le contraire eût étonné, ils composent un étal de charcuterie à eux seuls. Au point de chier du boudin les jours pairs, du saucisson les jours impairs.
Ou vice-versa, on aime la facétie, ce sont des artistes, n'oublions pas.
Ou plutôt ne sont-ils eux-mêmes qu'un énorme boudin. D'où ne percent, meurtrières d'une place forte, que de petits yeux porcins et calculateurs, ainsi qu'une bouche gloutonne, avide de se nourrir d'argent, de renommée.
Sans esprit, tout en appétit, sans coeur, tout en appétit, sans couilles, tout en appétit, voilà l'orgueil culinaire de notre république bananière, de ses pots-de-vin, de ses
dessous-de-table, de ses marchés faisandés, de sa nomenklatura obcène, avide de dévorer le peuple.


Ces gens là ne font pas dans la simplicité, loin de là.
Ou bien donnent-ils dans la fausse simplicité, vraie escroquerie, un oeuf posé
sur une feuille, cent cinquante francs : eh oui, on mange chez Duchmolle!
Ou est-ce Duchmolle qui se goinfre ?

De même que le noble arbore son titre par l'accumulation de noms, le bourgeois d'affaires par l'accumulation de matières, celui de lettres de distinctions, de même l'expression culinaire de notre supposé génie national titre-t-il sa production en la nommant par une accumulation distinctive de matières.
On parlera ainsi de la fameuse "endive à la fenouille de groseille poëlée sur sa
fricassée de cerf en rut ciboulée de pieds de marcassins dans sa rosée du printemps de mes deux" de chez Trucmuche.

Fenouille, parce qu'on invente : c'est nouveau, c'est vendeur, coco! et porteur
de plus-value, car sans référence préalable. Le gogo l'a dans le baba d'abord, dans le cul ensuite, et quand il faut payer l'addition, et quand il faut chier toute cette merde.
Péniblement, parce que celà représente beaucoup d'argent.

Le nom à rallonge ajoute au plat de la valeur non pas nutritive mais pécuniaire, c'est l'essentiel.
Plus que des aliments, le grand chef mijote de la valeur ajoutée : la cuisine, c'est du business. Aussi sont-ils désormais à la tête de petites multinationales de la bouffe.

L'industrie agro--alimentaire applique leurs recettes, use de leurs noms, profite de leur image; ils ouvrent des succursales à New-York, Londres, Tokyo. Tiens, pas en Ethiopie ou en Somalie.
Absents où crie la faim, ils sont là où pue le capital : leur métier n'est pas de nourrir les gens, mais de faire de l'argent : le grand chef transpose dans le domaine culinaire la perversion bourgeoise de l'accumulation du capital.


Les grands de ce monde, patrons, politiciens, journalistes de renom et autres escrocs ne s'y trompent pas, mais s'y reconnaissent et s'y restaurent. Ils y dégustent l'abus de biens sociaux, le vol du peuple, à chaque addition, payée par la société, entreprise ou contribuable.
Laquelle addition représente plusieurs mois de salaires de l'exploité.
Payé au lance-pierres, celui-ci se nourrit de pâtes à l'eau passé le quinze du mois.
Ce qui ajoute à la saveur de ces rots lourds et gras, de cette viande de chasse engloutie dans des sauces trop riches, trop épaisses. Lequel gibier n'est pas sans rappeler
celui qui trime dans leur boîte, impuissant, écrasé lui aussi par les forces du capital.
Recevoir à bras ouverts les grands escrocs de ce monde ne les dérange nullement.


Leur conscience politique ne dépasse pas le niveau de leurs fourneaux.
Aussi accueilleraient-ils rétrospectivement avec le même empressement, avec la même servilité bonnasse, les officiers de la Werhmacht, de la Gestapo.
Qu'importe le flacon pourvu qu'on est l'ivresse, de l'argent, de la renommée.
Ainsi ne protestent-ils nullement des ignominies de l'industrie agro-alimentaire.

Leur seule réponse au problème de la vache folle se borne à un : "mangez chez moi, vous ne risquez rien". On a sa petite filière bien à soi (filière pas toujours casher, du reste, n'est-ce-pas, Marc Veyreux ?) filière bien secrète, bien égoïste, réservée à leur seule petite clientèle, le reste du monde peut crever. Ils ne voient pas plus loin que le seuil de leur boutique, que leur livre de compte, que leur gros bide.
Les bénévoles des restos du coeur évoluent dans un autre planète.

Mais que notre socité d'escrocs glorifie ces grands chefs, somme toute fort proche
de la merde que leur activité génère, montre aussi que ladite société est arrivée à son
stade ultime, juste avant la grande purge.
Car la merde se chie, camarade, c'est inéluctable.
Et donc le bourge.


                                                        François Dor,
                                                            Grèce,
<< Accueil                                          août 2000.                                                    Suivant >>